Ça chôme pas !

La conception d’un projet artistique passe par de nombreuses étapes : réalisation du dossier artistique, recherche de partenaires, conception du décor, composition de la musique ou confection des costumes... Et les répétitions bien sûr, pour tester, affiner, mémoriser, peaufiner une pièce jusqu'à la première représentation, et même encore après. S'impose alors l'importance d'observer ce temps où un spectacle se précise avant de prendre corps : garder les traces de ces « travaux en cours » qui racontent déjà beaucoup et documenter les dessous de la création.

Vie du projet

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Entretien avec David Humeau

Pourquoi avoir choisi de reprendre des pièces de Beckett ? Et pourquoi tout spécialement ce triptyque : Catastrophe / Fragment de théâtre / Acte sans paroles ?

En fait, je sortais d'un seul en scène que j'avais écrit, qui m'avait pris pas mal de temps et qui avait bien tourné. Je me demandais comment repartir sur un projet différent et je me suis dit que j'allais prendre un texte d'auteur, ce que je n'avais pas beaucoup fait. Je cherchais un truc assez radical et précis, quelque chose qui me donne vite des directions. J'ai repensé à Samuel Beckett : il faisait partie de mes premières amours au théâtre. Ça avait été un choc quand j'avais découvert son travail au conservatoire. Je l'ai relu et je me suis rendu compte de la force de l'écriture et de la richesse de son œuvre, parce qu'il a fait tellement de choses... Il était traducteur, romancier, il a écrit pour la télé et la radio, il a fait des performances pour la danse, il a vraiment été quelqu'un d'assez touche-à-tout. Et tout ce que je relisais, je trouvais ça très solide, très beau. Mais je ne voulais pas partir sur ses grandes pièces qui ont déjà été souvent portées au plateau, comme En attendant Godot ou Fin de partie.

Avec ses petites pièces courtes, j'ai eu un premier choc. Je tombe d'abord sur Acte sans paroles qui est une pièce... sans paroles [rires] et que je trouvais super. Ça répondait exactement à ce que je voulais : il y avait quelque chose de très explicite pour le metteur en scène et pour l'interprète puisque cette pièce n'est faite que d'indications scéniques. C'est une partition précise, rigoureuse, un bel hommage à la pantomime. Il l'a écrite dans les années 50 pour un danseur. Et ça fait appel à beaucoup de machinerie de théâtre aussi. Il y avait un petit défi technique qui était lancé à celui qui avait envie de s'en emparer. Puis j'en ai discuté, notamment avec Le Grand T, qui a trouvé le projet intéressant.

Les pièces courtes de Beckett font à peu près une demi-heure donc il fallait étoffer, en lire d'autres. J'ai appelé Yvon Lapous, qui est un comédien nantais que j'aime beaucoup. Ensemble, on a relu ces pièces courtes et on en a choisi deux autres qui sont venues compléter intelligemment la première. On a trouvé Fragment de théâtre et Catastrophe qui sont deux pièces un peu différentes.

Je trouve que la pensée de Beckett résonne très fort en ce moment. Tout son travail autour de l'inutilité de la réussite par exemple est très intéressant. Il nous dit que réussir, ça ne veut pas dire grand-chose. Si on achève quelque chose, ça veut dire qu'on arrive à un point mort, fixe, ça ne veut rien dire. Notamment au regard de notre époque qui commence à regarder du côté de la décroissance et qui commence à réfléchir sur sa consommation, sur le rapport au monde et à la place de l'homme dans tout ça... Beckett avait déjà dit ça depuis le début. C'était déjà son cheval de bataille. Dans Acte sans paroles, on voit un homme se bagarrer avec une nature qui lui est envoyée depuis les cintres, on ne sait pas trop par qui : ça pourrait être Dieu, le régisseur du théâtre, un machiniste ou un metteur en scène capricieux. Il ne va jamais pouvoir s'en emparer. Les choses qu'on lui envoie sont des choses simples - un arbre, de l'eau - et il va vouloir se bagarrer : par exemple pour attraper une petite carafe d'eau qui est à 3m du sol. Il y avait des images assez fortes qui résonnaient bien, presque écologiquement.

Surtout, il y a un humour chez Beckett qui m'avait frappé dès les premières fois. J'avais découvert En attendant Godot au conservatoire, j'étais persuadé que c'était un auteur comique, c'était drôle de bout en bout. Après, on se rend compte que c'est un rire plus profond que ça... Beckett dit qu'il n'y a plus qu'à en rire : on se rend compte qu'on ne comprendra rien, qu'on ne sera maître de rien mais qu’à la fin,  il n'y a toujours plus qu'à en rire. Je trouve cette conclusion très forte. L'humour, c'est une arme que je manie depuis toujours, que j'ai toujours mise dans mon travail. Donc là il y avait tout ! Il y avait une vraie pensée puissante, forte, il y avait un petit défi technique, il y avait un truc très original avec des formats bizarres, une rigueur, un dépouillement aussi avec un plateau désertique, un éclairage éblouissant, et en plus de l'humour.

Dans ce triptyque, y avait-il l'idée de manier des formes artistiques différentes ? Comment ce choix s’est-il fait ?

La première pièce est un solo et les deux autres sont des duos. L'idée était de montrer un panel, de faire redécouvrir Beckett et de montrer la richesse de l'écriture de cet homme-là qui a écrit du milieu des années 40 jusque dans les années 80. Un parcours d'écrivain du 20e siècle très intéressant. Les deux premières pièces se situent dans les années 50-60, la dernière a été écrite dans les années 80. Dans Acte sans paroles, il y a l'intérêt que porte Beckett au corps : c'est un hommage au burlesque. On voit aussi tout l'amour qu'il porte à Charlie Chaplin, à Buster Keaton, aux Marx Brothers. On pose un objet, on se retourne, et puis il n'est plus là. Le pur gag ! Les deux autres pièces sont plus dialoguées, plus écrites. On se rend alors compte de la force de l'écriture de Beckett : chaque mot est pesé, choisi, tout a été pensé au plus juste, au plus économique.

Catastrophe, la dernière pièce, est plus récente. C'est sans doute une des pièces les plus directement politiques de Beckett. Il l'a dédié à Václav Havel qui, à l'époque, était emprisonné. Beckett s'est toujours défendu du côté politique mais cette pièce parle quand même de dictature et d'un fonctionnement autoritaire dans le travail. Elle se passe dans le milieu du théâtre. On y voit un metteur en scène et son assistante travailler sur une image. Et cette répétition rapide - puisque le metteur en scène a peu de temps à accorder et qu'il va faire courir son assistante - va virer à la séance de torture. Le comédien n'a pas son mot à dire : on ne lui parle jamais ou on parle de lui comme un objet.

Je trouvais que ces trois pièces ensemble donnaient une belle vision de Beckett et de son travail en général. Pour quelqu'un qui connaît bien Beckett, c'est une façon de venir voir des pièces plutôt inédites. Pour quelqu'un qui ne connaîtrait pas Beckett, ou qui pourrait avoir une appréhension, c'est une bonne façon de rentrer dans son univers, comme une petite soirée court-métrages.

au programme

Entretien avec Lazare

Pourquoi avoir choisi de réinventer le mythe de Psyché dans Cœur instamment dénudé ?

Le mythe met en jeu tout notre rapport au conscient et à l'inconscient. Et tout ce qui est de l’ordre de notre capacité à comprendre le monde et à affronter nos peurs. Dans le mythe de Psyché, il y a aussi cette rencontre avec Cupidon et ce rapport à l'invisibilité. Il y a la question de l'amour mais aussi de ne pas savoir quel est l'usage de l'amour. Il y a beaucoup de complexité dans ce livre.  

Et puis c'est aussi une héroïne femme qui va apporter, dans la suite du conte, la lumière. C’est une personne qui grandit et qui évolue, qui a un chemin initiatique, et qui doit - un peu comme Hercule - traverser des épreuves, faire ses preuves. Il y avait quelque chose de cet ordre là qui me plaisait : cette jeune fille qui devient une femme et va essayer de regarder, avec sa lampe, l'invisible. Et Vénus - qui est une espèce de reine méchante dans le conte - qui a peur de disparaître puisque c’est Psyché qui va prendre le pouvoir et sera étudiée plus tard par Lacan et par Freud. Voilà pourquoi j’ai voulu aller vers le mythe de Psyché. Aller vers un mythe, je trouvais ça rigolo, pour pouvoir le casser et voir un peu ce qu’il y avait dedans.

C'est la première fois que je travaille sur un conte, d'habitude je n'aime pas prendre des archétypes qui sont déjà disponibles. J'aime assez les choses qui sont folles et délirantes, qu'on arrive pas à définir autrement que par le théâtre. C’est-à-dire qui ne sont ni de la philosophie directement, ni de l'explication de texte ou de roman, mais qui ont besoin de la présence et de l’aura des acteurs pour pouvoir se jouer. En général, je ne vais pas dans des choses trop explicatives mais là, avec le confinement, ça m’enthousiasmait d'aller vers quelque chose qui était reconnu, pour avoir rendez-vous avec les spectateurs. Autour de ces trois figures - Cupidon, Vénus et Psyché - vont se jouer tous les conflits et toutes les luttes.

Cœur instamment dénudé est décrit comme « un feu d’artifice » (sceneweb.fr) : vous l’envisagez comme ça aussi ?

Non pas vraiment, je l'ai pensé comme quelque chose qui se rapprochait d’un conte de fées où il était possible de dire qu'on s'aime, qu’on se trompe, qu’on se perd… J’ai voulu qu’il y ait beaucoup de joie dans ce spectacle, pas pour faire l’amuseur public, mais parce que je pense qu'on est dans un moment où on a besoin de redonner de la force à l'amour et aux gens pour s’aimer, pour tenir, dans un moment qui est compliqué. De plus, la joie n'empêche pas un rapport critique du monde. C'est-à-dire qu'il y a tout un questionnement - un peu comme dans Je m'appelle Ismaël [accueilli au Grand T en novembre 2019] - sur la façon dont on kidnappe notre psyché, notre attention, par de la publicité, par une robotisation de la société… Et je pense que la mort et l'amour sont de grands sujets de la vie et de la poésie. Pendant le confinement, écrire sur l'amour qui est , pour moi, une des choses les plus importantes au monde - avec la révolte - m’était nécessaire.

Dans vos pièces, il y a toujours un mélange de théâtre, musique et chants : qu’est-ce que cet éclectisme permet de créer ?

J'entends toujours des gens chanter des chansons : la rue est pleine de bruits et de chants, le mot est plein de musicalité. Pour moi, dans le théâtre et dans la voix, il y a quelque chose qu'on aimerait toucher, il y a quelque chose de l’ordre de l’offrande. Ça me ramène à quelque chose qui se fait beaucoup dans le théâtre allemand, chez Brecht ou chez Büchner : à l'intérieur de leurs pièces, il y avait toujours la chanson populaire qui arrivait pour éclairer la pénombre et donner un côté plus joyeux. C'est vrai que j'ai pensé Cœur instamment dénudé comme une comédie musicale. Par moment, ça me faisait rire de m'amuser à chanter.

Ce qui est aussi très drôle, comme je n'ai que huit acteurs-musiciens, c'est que les musiciens chantent et jouent également. Je trouvais ça assez drôle que, d'un seul coup, le batteur (qui donne le rythme) puisse s’inviter au plateau pour jouer Zéphyr. Je ne trouve pas ça incohérent qu’il rythme la scène et déplace les éléments. La musique et le chant déplacent le rapport de jeu des acteurs. C’est tellement beau, une voix, que c'est difficile de s'en passer.

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Retour sur les répétition d'Ombres Portées

Le cœur qui bat

Restitution des amateurs dans La Chapelle

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En vidéo : filage technique de Blanche-neige, histoire d’un prince

Michel Raskine et son équipe se préparent pour la première de Blanche-Neige, histoire d'un prince au Grand T. Un spectacle 100% famille (dès 10ans) à découvrir du 31 janvier au 4 février 2021.

Oubliez la variante édulcorée de Walt Disney ! Théâtre d’objets et marionnettes, machinerie à vue, maquillage et travestissement forment une version déjantée du célèbre conte pop, trash, légèrement cruelle et terriblement drôle à tous âges.

L'envers du décor

Construction du décor du Mariage Forcé

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Construction de la scénographie de Boule à neige

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Installation du chapiteau du Cirque Pardi!

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Répétitions de Rose dans La Chapelle

Face à face

En vidéo : Sébastien Barrier au Grand T

Ça va aller : du 4 au 8 octobre, Sébastien Barrier nous parlera de ses héros (son père, le poète Georges Perros, le duo Sleaford Mods...) qui, naguère en proie à la mélancolie, vont mieux aujourd'hui.

Quoi de commun entre un séminariste défroqué, un poète qui croit à l’amitié et le groupe de Nottingham, Andrew Fearn et Jason Williamson, qui hurle sa haine d’une société qui broie les humains ? Sébastien Barrier lui-même : l’auteur et acteur, poète, prêcheur, pécheur et punk à ses heures. Il vous donne rendez-vous la semaine prochaine

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Ouvrez grand vos oreilles dans les transports en commun

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